Récit de Jonathan Salamon : partie 5 : Battre le fer quand il est chaud
Publié il y a 7 ans • par Jonathan Salamon• Catégorie : (Re)devenir pro par Jonathan SalomonAvez-vous déjà entendu parler de « l’escalade de l’engagement » ? En psychologie sociale, c’est un concept qui traduit le fait qu’il est beaucoup plus difficile de s’extraire d’une situation à partir du moment où l’on a pris une décision, aussi minime soit-elle, vers l’acceptation de cette situation. En gros, plus vous êtes engagés, plus vous avez tendance à le devenir encore plus.
Par exemple, une expérience sociale a montré que si dans la rue, quelqu’un vous demande l’heure, puis de l’argent, il aura des chances de succès drastiquement plus élevées que s’il vous demande directement de l’argent ( 10% contre 40% !). Ce mécanisme vient du fait qu’à partir du moment où vous avez accepté de rendre un petit service à quelqu’un (lui donner l’heure, difficilement refusable), vous êtes déjà engagé dans la situation « rendre service » et il vous sera donc plus difficile d’en sortir.
Chaque contact nous engage. Physique, visuel, émotionnel, verbal. C’est la raison pour laquelle les gens dans le métro ne se regardent pas. Ils n’ont pas envie d’être engagés dans une situation de communication avec un inconnu. C’est également la raison pour laquelle au poker, si un récréatif nous a payé deux fois avec une paire, il y a de fortes chances qu’il paie une troisième fois, même s’il sait qu’il a perdu.
Pourtant, les joueurs réguliers savent qu’on peut très bien décider de payer plusieurs mises au cours d’une main, et se coucher à la dernière. Ce n’est pas parce qu’on se couche qu’on a mal fait de payer auparavant. Ce serait result oriented de penser ainsi. On a décidé de payer preflop, flop et turn car on pensait avoir raison à ce moment là, mais la situation s’est développée, de nouvelles cartes sont apparues, des événements inattendus ont surgi, et même si l’on est fortement impliqué dans nos décisions antérieures, on doit réévaluer la situation.
Réévaluer.
C’est une des aptitudes les plus importantes, au poker comme dans la vie. Etre capable, en dépit de toute son implication, de tout son investissement, de pouvoir regarder une situation avec des yeux neutres et prendre la meilleure décision possible, en fonction des nouveaux éléments qui se sont présentés.
Il y a huit mois, lorsque j’ai envisagé pour la première fois une reconversion professionnelle, je l’ai fait avec les éléments que j’avais alors. J’ai monté ce projet, j’ai visualisé comment je comptais le faire, et je me suis lancé, petit à petit. Certains éléments se sont passés comme prévus. D’autres ont été inattendus. D’abord la formation en parallèle de mon travail qui s’est avérée beaucoup plus intéressante que prévue. Puis Yoh Viral, et le partenariat qui fait que je vous écris aujourd’hui. Puis le sport, la reprise d’un rythme de vie sain. Et tout dernièrement, des chantiers qui sont tombés du ciel du jour au lendemain, et qui me permettent de faire vraiment de l’architecture de manière indépendante, chose que je n’avais jamais pu faire jusqu’à maintenant. Que du positif. Jusqu’à cette reprise d’étude qui est venue tout chambouler.
Quand j’ai repris les cours il y a quelques semaines maintenant, ma belle dynamique s’est arrêtée. Fini le grind des journées durant. Fini le sport trois fois par semaine. Finie cette vie agréable, où j’avais enfin le temps de faire les choses comme je le voulais sans être à courir derrière la montre. Je me suis vite rendu compte que les études allaient m’obliger à sacrifier pas mal de choses que j’avais redécouvert récemment, et je crois que très vite j’ai su que je n’étais pas prêt à le faire.
J’ai essayé de m’organiser. Mais je crois que ce n’était pas vraiment une question d’organisation. Evidemment, j’aurais pu réussir, avec un emploi du temps serré. 30 heures de cours, 20 heures de révision, 10 heures de grind, 10 heures d’archi, 10 heures de sport, 50 heures de sommeil etc... Matériellement, il y a avait la place. Mais à quel prix ? Pour quelle vie ? Quel but ? Et surtout avec quelle efficacité ? Connaissez-vous beaucoup de joueurs de poker professionnels qui le sont devenus avec 10 heures de travail par semaine ? Moi non.
Au poker comme dans la vie, il faut pouvoir réévaluer une situation, même quand on s’est fortement engagés dedans. Avec toutes les cartes qui sont apparues, le board n’est plus du tout le même qu’il y a huit mois, et il serait dommage de persister à tout prix dans le plan initial.
Je n’aurai pas deux fois la chance de bénéficier d’une structure d’apprentissage aussi complète que « (Re)devenir Pro ». Je n’aurai pas deux fois l’occasion de pouvoir me lancer comme architecte en indépendant. Je n’aurai pas deux fois l’opportunité d’avoir du temps comme j’en ai en ce moment. Je n’aurai peut-être jamais plus l’occasion d’être dans une situation où je peux réellement tenter de construire une vraie indépendance financière.
Alors il faut battre le fer quand il est chaud.
J’ai décidé de repousser la reprise d’étude à l’année prochaine.
Je lâche un peu de lest, pour me donner plus de légèreté, et une vraie chance de réussir.
Le plan, c’est de tout donner cette année sur le poker, pour atteindre des limites intéressantes et les crush. En NL50, jouer 10 heures par semaine ne me permet pas de faire grand chose. En NL200/400 par contre, c’est une toute autre histoire. Et ça me laisse bien plus de marge de manœuvre pour monter des projets parallèles.
Je me souviens à Malte, pendant le stage, d’une constatation qui m’avait frappé, et que j’avais déjà écrite sur ces pages. Pour rappel, je vous la recopie ici :
“Structurellement, je constate que les conditions dans lesquelles on devient pro sont presque aussi importantes que le travail sur le jeu lui même. En écoutant l’histoire de Yoh et d’Erwann Pêcheux, je réalise que la plupart des joueurs qui ont réussi se sont créés une structure de vie qui a favorisé leur succès. Tous ou presque sont les anciens colocs/amis d’autres pros qui ont mangé, dormi, vécu poker pendant des années ce qui leur a permis indépendamment de leurs autres choix de vie de rester dans une dynamique très favorable au travail et à l’apprentissage. Rares sont les loups solitaires dans mon genre qui ont pu percer dans leur coin. Par extension, je réalise que même si le projet était beau et plein de panache, le World Poker Trip avait peu de chance de faire de moi un pro tant les handicaps que je me mettais, à savoir l’impossibilité à jouer de manière régulière, les frais conséquents, l’instabilité permanente et la fatigue accumulée du voyage me mettaient des bâtons dans les roues.”
Aujourd’hui, je prends acte de cette constatation. Et je décide de me placer dans une structure de vie qui va favoriser mon succès.
Désormais j’ai 11 mois.
11 mois pour vraiment me donner à fond sur le poker, l’archi, le sport, la vie saine et ma formation. 11 mois pour essayer de faire quelque chose de tout cela. 11 mois pour vraiment redevenir professionnel.
Une nouvelle aventure commence…
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